Par Gratien Rukindikiza
Burundi news, le 02/01/2010
Les élections burundaises de 2010 créent une certaine hantise chez les Burundais. Cette hantise est aussi celle des politiciens de l'opposition de voir le parti au pouvoir tricher les élections et utiliser la violence. Qu'en est-il de la réalité? Quelles sont les raisons d'être optimistes? Quelles forces politiques en présence?
Les cartes d'identité et listes électorales, trop de bruits pour une simple affaire
Ces derniers jours, les partis de l'opposition crient très fort en dénonçant l'octroi des cartes d'identité aux seuls membres du CNDD-FDD, parti au pouvoir. Certains disent même que certaines personnes ont deux ou trois cartes d'identités pour leur permettre de voter deux ou trois fois. Ainsi, ils disent qu'ils seront inscrits deux ou trois fois sur les listes électorales.
En discutant avec les uns et les autres, on comprend aisément que personne ne peut être inscrite deux ou trois fois si les partis de l'opposition font leur travail de vérification de ces listes.
Personne ne peut m'expliquer que des gens de la colline Kibenga pourront s'inscrire deux ou trois fois sur la liste sans que les membres des autres partis ne constatent qu'il y a doublon. Les gens se connaissent. Le code électoral stipule bien en son article 21 que les partis politiques peuvent désigner un mandataire et son suppléant à chaque bureau d'inscription pour s'assurer de la régularité des opérations d'enrôlement. Le recours se fait à la CEPI, commission provinciale.
Le problème de cartes d'identité n'est pas aussi crucial qu'on le croit car il est inconcevable qu'on refuse d'inscrire une personne à qui un administrateur a refusé une carte d'identité. Par ailleurs, les Burundais sont habitués à se promener avec des cartes d'identité, sauf à la campagne. Ils ont voté en 2005 et ils avaient des cartes d'identité. Pour les jeunes ayant eu 18 ans après 2005, ils pourront prouver par tous moyens pour pouvoir être inscrits sur la liste électorale.
Les partis politiques devraient se concentrer sur la mobilisation et aussi rassurer leurs militants pour vaincre la peur. Tous les militants ont une certaine appréhension, une peur subsiste. Pour le parti au pouvoir, il y a la peur de l'échec, et donc la perte du pouvoir. Cette peur ne devait pas exister car dans une démocratie, il y a des alternances au pouvoir. Les militants, bons citoyens, n'ont rien à craindre. Ce sont ceux qui ont volé, qui ont tué qui ont peur plus de la justice que de l'échec électoral en soi. C'est pour cela qu'il faut éviter une complicité de la violence.
La peur des militants de l'opposition est une affaire des cadres des partis politiques de l'opposition. Si ces partis assument leur rôle, refusent la peur de la violence, ils pourront rassurer leurs militants. Toujours, il faut se mettre à l'esprit qu'un chien affronte facilement celui qui a peur. Le Frodebu a prouvé qu'il est capable de mobiliser sa jeunesse même pour préparer l'autodéfense. Cette démonstration de force a suffi pour calmer les ardeurs des jeunes du CNDD-FDD. Personne n'a le monopole de la violence mais la violence n'a profité à personne.
Consultations et coalition de l'opposition
Un cadre de consultation nationale des partis a été défini par une ordonnance ministérielle. Les partis politiques auront un lieu, des moyens pour des consultations permanentes. Les fonds utilisés sont ceux qui restaient sur le budget du forum de discussion. Ce cadre pourra permettre de débattre de tout sujet pouvant entacher les élections.
Les partis de l'opposition doivent résoudre la question principale de la coalition. Faut-il une coalition avant le premier tour ou après? Pour répondre à cette question, il faut bien analyser l'adversaire en face. Sans aucun doute que le Président sortant Nkurunziza sera candidat du CNDD-FDD. La tentation d'être candidat indépendant a été balayée. Probablement qu'il n'a pas compris que Buyoya aurait eu plus de voix s'il avait été candidat indépendant en 1993. Le CNDD-FDD est dans la même situation que l'Uprona de 1993, même pire. Il est accusé de tous les maux. Le peuple constate avec raison que la corruption se fait au nom du militantisme du CNDD-FDD, la violence, le manque de vision, etc....
Le Président Nkurunziza a lui même constaté que sa soi disante popularité est un leurre. Trois fois, la population a refusé les haricots que le Président Nkurunziza voulait leur donner. Une information que je tiens d'une personne présente. Les zélés du pouvoir pourront contester mais c'est ce qui a poussé le Président à arrêter ces distributions pour s'occuper des inaugurations des centres de santé. Le Président Nkurunziza a vu sa popularité s'effriter, y compris dans sa commune natale. Les spoliations de terre n'ont pas arranger les choses. Au lieu de profiter de la proximité du village natal du Président, les paysans en ont payé les frais. Une famille m'a rapporté qu'elle ne peut même pas porter plainte de peur d'être tuée.
Malgré ces déboires du Président, l'opposition ne doit pas dormir sur ses lauriers. La coalition s'impose et c'est déjà un acquis. Certains partis peuvent se dire qu'ils sont les plus populaires, sans sondage au Burundi, personne ne peut trancher. Le peuple tranchera avec les communales. L'opposition aura intérêt à faire une alliance avant le premier tour des Présidentielles si le parti au pouvoir se rapproche des 30 %; ce qui est difficilement concevable. L'opposition devra élaborer un texte commun avec un engagement pour soutenir le candidat du parti qui aura eu le grand score au niveau des élections communales. Il faudra mettre de côté les egos personnels. Les candidats déjà prononcés n'auront qu'à retirer leurs candidatures.
Par ailleurs, face à une faiblesse flagrante du CNDD-FDD, il va de soi que les autres partis auront le loisir de se tester au niveau du premier tour des présidentielles. La coalition pourra intervenir au deuxième tour.
Le visage politique d'après les élections
Malgré l'absence des sondages, sauf ceux du CNDD-FDD, financés par la Documentation, sur demande du Président, on peut faire une estimation. La Documentation a sous traité ces sondages dans la grande discrétion. Selon un cadre de la Documentation qui a gardé l'anonymat, une ONG burundaise a refusé ce marché mais une autre l'a accepté après une négociation financière. Le résultat a été accablant : 25 % pour le CNDD-FDD.
Aujourd'hui, aucun parti politique seul ne peut décrocher une victoire. Ce n'est pas du temps de 1993 où le Frodebu dominait, ni en 2005 avec le CNDD-FDD. Les nouveaux partis politiques puisent dans le vivier des 3 anciens. L'UPD pompe sans gêne dans les rangs du CNDD-FDD, y compris dans l'entourage du Président. Le risque pour le CNDD-FDD est de retrouver le gros des militants et cadres à l'UPD. Il ne restera qu'à proposer la fusion avec l'UPD que Radjabu ne pourra accepter qu'à trois conditions à savoir sa libération, le retour à la tête du CNDD-FDD et le limogeage de quelques généraux, surtout Adolphe Nshimirimana.
Le FNL garde ses militants et surtout après la clôture du passage éclair de Kenese qui a été le pion du pouvoir et qui a été abandonné face à la pression internationale. Le FNL puise aussi au FRODEBU.
Le MSD puise à l'UPRONA, au CNDD-FDD, au FNL, au MRC. Avec ces mouvements politiques, il est difficile d'y voir clair. Personne ne peut dire quel parti sera en tête du CNDD-FDD, du Frodebu, du FNL, de l'UPD ou du MSD. Ce qui est sûr, c'est que ces partis auront chacun plus de 15 % de voix mais difficilement plus de 30 % . L'Uprona pourra faire aussi sa surprise si ce parti maintient le score de 2005.
Le paysage politique burundais d'après les élections sera fait de coalition de partis au pouvoir, véritable gage de la démocratie dans ces moments d'apprentissage démocratique. Si le CNDD-FDD se retrouve dans l'opposition, ça sera l'occasion de se recomposer avec des vrais patriotes et faire son autocritique. Il faudra un homme (ou une femme) nouveau qui n'a pas trempé dans la corruption. Compte tenu des cadres de ce parti, Onésime Nduwimana, actuel DG de la SOCABU, pourrait incarner le leadership de ce parti après une déroute électorale.
Les responsabilités devant l'histoire
Le Burundi a la chance d'avoir un homme neutre, pondéré, très courtois comme un diplomate et posé comme un évêque à la tête de la commission électorale. Pierre Claver Ndayicariye est l'homme de la situation. C'est l'homme qui fera démentir les propos pessimistes. S'il organise des élections transparentes et libres, il aura l'avenir devant lui et l'histoire le reconnaîtra. Avec une CENI neutre, des CEPI et CECI neutres, il y a lieu de dire que les élections ne pourront pas être trichées.
Une grande responsabilité incombe aussi au président du Sénat Rufyikiri. Il est le président de la campagne du CNDD-FDD. Si ce parti use de la violence, il sera tenu responsable de cette violence. il ne pourra pas dire qu'il ne savait pas. Gervais Rufyikiri connaît les rouages de la justice internationale et surtout la justice à compétence universelle de la Belgique, pays qui l'hébergeait avant 2004. Il a une grande responsabilité politique et juridique. Il ne serait pas honorable pour un homme de sa stature passer du perchoir du Sénat au dortoir d'une prison. C'est un homme que j'ai rencontré à Paris, très posé et intelligent. Cette désignation n'est pas une promotion mais une grande charge. S'il arrive à calmer les zélés du régime pour qu'ils ne perturbent pas les élections, il aura confirmé l'espoir qu'il incarne.
L'optimisme n'exclut pas la vigilance. La peur est un mauvais conseiller. Les Burundais devraient vaincre la peur. C'est cette peur qui a fait des ravages en 1972 et 1993.
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